Répétition du 14 mars 2003

dirigée par Éric Andrieu

La prise de pouvoir de Titus

Photogramme : Giovanni Cioni, répétition, One step, Paris
Photogramme : Giovanni Cioni, répétition, One step, Paris

Médiha. (lit I, 1 v.206-210) — « Romains, faites moi droit » (Romans, do me right)

Éric. — Considérons le vers 210 : « Plutôt que de me refaire du cœur des gens. » (Rather than rob me of the people’s hearts!). L’anglais éclaire ici le français. (Rob) a été traduit par « refaire ».

Patrice. — Au vers 209, « Andronitch, puisses tu » semble être destiné à Titus, alors que la version anglaise (would thou) semble une adresse à tous les Andronicus.

Mustapha. — Ne s’adresse-t-il pas au nom de famille ?

Éric. — Cela créera du jeu.

Lecture I, 1, v.211-219 : « Saturnin, en crânant tu court-circuites le bien » (Proud Saturnine, interrupter of the good)

Éric. — Le terme « court-circuit » est anachronique au XVIe siècle. Il est la traduction de interrupter qui n’avait probablement rien à voir avec la lumière, mais que les traducteurs ont délibérément choisi. Peut-être en relation avec l’association habituellement faite entre le bien et la lumière.

Willy. — Et la pénombre renvoie au mal.

Éric. — Cette allusion au court-circuit est à prendre en compte pour le jeu.

Christophe. — Le court-circuit est le chemin le plus court par lequel passe le plus d’électricité, d’énergie. Cela résonne comme une indication sur le comportement de Saturnin qui va trop vite mais qui risque de se brûler.

Éric. — Lucius et Marcus n’ont pas du tout la même position, bien qu’ils fassent partie du même clan.

Xuan-Lan. — Lucius comprend les bonnes intentions qu’a son père à l’égard de Saturnin, alors que Marcus espère encore le trône pour son frère.

Éric. — On n’en sait rien. Marcus est moins clair, confus même par rapport à Lucius. Le clan est désuni dans la parole, sachant que les paroles de ces deux personnages sont sujettes à caution.

Lecture I, 1 v.213-214 : « Sois bien content, éminence, je te restaurerai » (Content thee, prine ; I will restore to thee)

Éric. — Cette parole de Titus est claire.

Morad. — C’est la réponse au vers 210 « Plutôt que de me refaire du cœœur des gens ».

Christophe. — « Sevrer » vient en écho à « étêter » qu’on a rencontré au vers 189.

Éric. — Se sevrer de soi-même est aussi se priver de soi-même. Donc Titus parle de détourner les gens de leur propre souhait de voir Andronicus couronné.

Amal. — Titus, la louve nourricière de son peuple, se propose de le sevrer pour l’offrir à Saturnin.

Éric. — En effet. On sevre aussi les alcooliques et les toxicomanes. Les romains sont des drogués ici !

Christophe. — Titus a quelque chose de christique. Il offre son corps en nourriture.

Éric. — Dans sa parole, il est l’incarnation de Rome avec ses enfants. Et ce refus du pouvoir est l’un des principaux ressorts dramatiques.

Lecture I, 1 v.215-219 : « Andronicus, je ne te fais flagorneries » (Andronicus, I do not flatter thee)

Éric. — Bassianus propose une association à Titus, un marché, il se place pour éviter Saturnin avec qui il n’aurait rien.

Samir. — Il flatte le père de Lavinia.

Éric. — Au vers 219, « il » désigne le groupe de Bassianus.

Willy. — Ce sont les manigances vues à l’occasion de toute élection. Bassianus flatte les tribuns.

Christophe. — Les hommes larges d’esprits sont ceux qui ne voteront pas pour leur leader.

Éric. — Il use de son influence parmi l’élite.

Patrice. — C’est une opposition à la parole de Saturnin qui, selon lui, n’a rien compris à ce qu’a dit Titus.

Éric. — Oui , Bassianus commence par dire « je ne te fais flagorneries », « moi » pourrait-on rajouter. Celui qui fait des flagorneries est un beau parleur. Et dire « jusqu’à ma mort » n’est pas peu dire. Bassianus honore facilement et se range, en bon centriste, du coté du plus fort.

Christophe. — Cela pourrait s’entendre ainsi  : « Si Andronicus, tu me donnes tes voix, je te serai reconnaissant. » Il me semble qu’il n’abandonne pas le pouvoir. C’est une allusion au bâton d’honneur que réclame Titus.

Éric. — Ou bien, il sollicite un poste important. Il n’est pas d’un propos limpide. Et à ce moment là  : coup de théâtre.

Photogramme : Giovanni Cioni, répétition, One step, Paris
Photogramme : Giovanni Cioni, répétition, One step, Paris

Lecture I, 1 v.220-222 : « Peuple de Rome, et les tribuns du peuple, là,  » (People of Rome, and people’s tribunes here)

Éric. — Il requiert tous les suffrages des tribuns et les voix, la clameur du peuple. Et les vers 223-225 montrent le complet soutien des tribuns qui acclament Titus… Andronicus prend le pouvoir.

Morad. — Il demande et prend les voix pour désigner le successeur, pour voter à son tour, par procuration, et non pour prendre le pouvoir.

Éric. — Je pense qu’il prend réellement le pouvoir à cet instant, et fait taire tout le monde, et on ne sait pour combien de temps. Puis, au vers 225, les tribuns « nominent à qui va son admission ». Cette parole est ambiguë et participe du ressort dramatique. Le he anglais désigne aussi bien le peuple que le bon Andronicus.

Mustapha. — Pour désigner, il faut avoir le pouvoir.

Christophe. — Le peuple « nomine », mais ne vote pas encore. Il y a utilisation du futur. Le peuple ne répond pas clairement à une question floue.

Lecture I, 1 v.226-227 : « Tribuns, en vous remerciant, vous fais cette requête » (Tribunes, I thank you ; and this suit I make)

Éric. — Titus prend le pouvoir et le lâche. Et cela va le perdre.

Amal. — Le fait qu’il s’autorise à désigner lui donne encore davantage de pouvoir que s’il était simplement élu. Je ne vois pas quelqu’un qui délègue. Il a encore plus de pouvoir que celui à qui il le donne.

Éric. — Et n’est-ce pas ce à quoi appelle Marcus depuis le début ?

Lecture I, 1 v.226-255.

Éric. — Au vers 226, l’ambiguïté disparaît. Titus demande, peut-être pour la forme, un second vote. Marcus vote seul. On ne peut aller contre la volonté de Titus. Or, personnellement, je n’entends pas les clameurs du peuple. Quand Titus en appelle au peuple, les tribuns répondent. Quand Titus en appelle aux tribuns, seul Marcus répond. Et on entend un silence de mort. Où sont les cris du peuple ? Marcus semble dire l’inverse de la situation et de ce qu’il pense. Or, selon la didascalie, seules les trompettes officielles de l’empereur se font entendre. Saturnin n’est pas bienvenu. C’est Titus qui rassemble le peuple. Il semble que ce soit la consternation. On verra comment on le mettra en scène.

Amal. — Mais, pourquoi Titus choisit-il saturnin ?

Éric. — C’est la question que tous, public et acteurs devons nous poser jusqu’à la fin. C’est le ressort dramatique.

Édition anglaise citée : premier Quarto. Les indications scéniques sont dans leur ensemble celle de 1594. (Les Belles Lettres, Paris 1972, qui reprend l’Édition Arden).
Traduction : Julien Baril & Gérard Vincent. Transcription : Carine Masseron